Le silence dû aux cimetières sous nos cieux a été rompu pendant les funérailles nationales hier de Lina Ben Mhenni par une pluie de slogans, les paroles de l’hymne national et les youyous des femmes.
Le cortège funèbre arrive un peu avant 15h00 escorté par les agents de sécurité. Les motards de la police ont sécurisé tout le trajet parcouru par le cortège du domicile des parents de Lina Ben Mhenni sis à Ezzahra jusqu’au cimetière du Jellaz à Tunis. La foule qui reçoit la défunte, sous les clameurs de l’hymne national, des roses à la main et le drapeau de la Tunisie sur l’épaule, est large et hétéroclite. Dans l’assemblée, beaucoup de femmes de tous âges, des hommes jeunes et moins jeunes, des personnalités politiques de la grande famille de la gauche, comme des leaders de partis récemment créés, tel Qalb Tounès (les tentatives de récupération de Lina sont partout à El Jellaz !), des blogueurs, des journalistes tunisiens et étrangers, des cameramen, des syndicalistes, des militants des droits de l’homme, des artistes… Une affluence à l’image de son rayonnement et des causes justes pour lesquelles Lina Ben Mhenni s’est mobilisée tout au long de sa vie plutôt courte mais tellement intense. De la liberté de naviguer sur Internet au moment de l’ancien régime au soutien aux révolutionnaires à Sidi Bouzid, à Tunis, à la Kasbah I et II, aux droits de l’homme et aux libertés individuelles, comme à la défense du processus de la justice transitionnelle et la lutte contre l’impunité. Une des dernières opérations qu’elle a montées avec son père Sadok Ben Mhenni, ancien prisonnier politique sous Bourguiba, qui lui a transmis l’art et le pouvoir de résistance, concerne la collecte de livres pour les bibliothèques des prisons.
C’est en hommage à sa générosité, son courage et sa détermination malgré sa maladie de longue date que des milliers de Tunisiens sont venus rendre un dernier adieu à cette icône de la révolution dans une ambiance qui rompt avec le silence et le rituel quasi religieux imposés par le lieu, El Jellaz. L’émotion et les larmes étaient au rendez-vous.
Une femme prononce l’oraison funèbre
La présence massive des femmes prouve également toute la valeur de ce personnage public, très inspirant pour les jeunes en particulier. Pour la première fois, des femmes portent sur leurs épaules le cercueil jusqu’à sa dernière demeure. L’oraison funèbre est également prononcée par une femme : Yosra Frawes, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd). Des youyous fusent de temps à autre pour marquer encore plus cette présence féminine, qui n’a pas manqué de déranger d’autres
cortèges funèbres de cet après- midi d’hier. Lina Ben Mhenni a été enterrée sous les applaudissements de la foule et sous une pluie de slogans. Ses slogans à elle au moment des manifestations de la révolution, dont le fameux « Choghl, horriya, karama wataniya » (Travail, liberté, dignité nationale »). « La Tunisie change. La preuve, ce sont ces funérailles nationales décrétées par le président de la République pour une militante des droits humains comme Lina. Jamais sous Bourguiba ou Ben Ali on aurait rêvé d’une telle reconnaissance d’une activiste de la société civile», assure Raoudha Gharbi, ancienne perspectiviste. Mardi, la Tunisie a enterré une de ses héroïnes dans un climat de grande sérénité. Mais la promesse de ses amis de tous bords retentit en cet après-midi d’une douceur printanière: « Nous serons pour toujours fidèles à tes idées et à tes combats, Lina ! ».